Un rapport d'expertise français sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président hutu Juvenal Habyarimana, dévoilé mardi, exonère les sept proches de l'actuel chef d'État Paul Kagame encore inculpés en France pour leur participation présumée à cet assassinat. Une attaque qui est considérée comme l'élément déclencheur du génocide rwandais. Cette réorientation de l’enquête pourrait ouvrir la voie au règlement du contentieux politico-diplomatique entre Paris et Kigali, après la détente amorcée il y a deux ans.

André Guichaoua, professeur de sociologie à l'Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et témoin expert auprès du TPI pour le Rwanda répond aux questions de FRANCE 24.




André Guichaoua, professeur de sociologie à l'Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et témoin expert auprès du TPI pour le Rwanda.



FRANCE 24 : Les juges français chargés de l'enquête sur l'assassinat du président rwandais Juvenal Habyarimana ont présenté de nouveaux éléments dans un rapport d’expertise. Comment l’analysez-vous ?



André Guichaoua : Il faut respecter ce rapport qui apporte des éléments inédits. Il doit être pris très au sérieux. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont donnés des moyens différents pour dénouer des témoignages en se rendant sur place et en s’appuyant sur des éléments scientifiques. Ces données semblent affaiblir les conclusions du juge Bruguière, qui avaient abouti au lancement en 2006 de neuf mandats d'arrêt contre des proches du président rwandais Paul Kagame. Toutefois, il faut rester prudent, car il ne s’agit pas d’une décision judiciaire définitive mais d’un rapport qui, par définition, peut être contredit, contesté ou confirmé. D’autant qu’il reste des zones d’ombres majeures et des éléments du scénario à éclaircir. Le rapport ne désigne pas, par exemple, les auteurs possibles de l’attaque. Il est donc trop tôt pour tirer des conclusions et l'affaire est loin d'être réglée.



F24 : Pourtant, Kigali s’est félicité des conclusions de ce rapport qui "rend justice"au Rwanda. Quel impact peut avoir cette volte-face judiciaire sur les relations entre la France et ce pays ?



A.G : L’impact ne pourra être que positif, même si certains ne manqueront pas de sous-entendre qu’il tombe à pic pour les deux pays qui sont engagés dans un processus de normalisation. Cependant, la fonction de ce rapport n’est pas de renforcer les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda ou alors ce n’est plus un document judiciaire mais politique, ce qui revient à faire insulte à la justice française et à sous-entendre qu’elle est aux ordres des politiques.



F24 : Après plusieurs années de tensions, la France a renoué les liens avec le Rwanda. Quels sont les enjeux d’un tel rapprochement ?



A.G : Depuis quelques années, le Rwanda est devenu une plateforme dynamique et incontournable à l’échelle de la région des Grands Lacs. Au point de jouer un rôle prépondérant sur le plan économique, notamment en matière d’investissements et d’échanges. La France ne peut rester à l’écart de cette région. Au plus fort de la crise diplomatique, Kigali avait fait en sorte que ses voisins ainsi que les pays de la sphère africaine anglophone -du Kenya à l’Afrique du Sud-, soient réservés à l’égard de Paris. Les Français ont toujours du mal à faire entendre leur voix dans certaines régions du continent, tant le dossier rwandais contribue à brouiller leur image. En outre, Paris reste soucieux de la stabilisation de la RD Congo. Or, l’Elysée sait parfaitement que rien ne peut se faire dans ce pays sans la bienveillance du Rwanda, qui peut jouer au choix, un rôle de stabilisateur ou de perturbateur. Autant de raisons qui ont poussé au réchauffement entre les deux pays.