(Québec) L'avocat de Léon Mugesera pendant près de 20 ans, Guy Bertrand, a livré un ultime plaidoyer mardi pour défendre l'innocence de son client déporté au Rwanda et a remis en question l'intégrité d'Ottawa qui aurait peut-être, dit-il, cédé aux pressions du gouvernement de Kigali.

Le coloré personnage avait convoqué les médias dans son bureau en après-midi pour commenter les derniers dénouements dans le dossier du ressortissant rwandais accusé d'avoir incité au génocide de 1994 dans son pays lors d'un discours prononcé deux ans plus tôt.

Guy Bertrand s'est notamment dit persuadé que Léon Mugesera aurait pu être acquitté s'il avait été jugé en sol canadien. «Pourquoi le Canada a-t-il choisi de le voir condamné au Rwanda, sachant très bien qu'il n'a aucune chance de réussir?» a questionné l'avocat.

Pour étayer son argumentaire, celui-ci a distribué aux journalistes une partie du jugement de la Cour d'appel fédérale de 2003 qui donne raison au clan Mugesera dans sa tentative de demeurer au pays. Dans ce document, le juge Gilles Létourneau écrit que le discours utilisé pour incriminer Léon Mugesera a été altéré à des fins partisanes.

«On a construit un faux Mugesera pour être sûr d'avoir sa peau pour le déporter», a dénoncé Guy Bertrand en haussant le ton, reprenant ainsi la thèse qu'il a longuement défendue devant les tribunaux pendant les deux dernières décennies.

En 2005, la Cour suprême a infirmé la décision de la Cour d'appel, ordonnant la déportation du Rwandais désormais interdit de territoire pour les crimes dont il est accusé dans son pays d'origine et pour avoir fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes.

Contradictions

«Devant deux jugements contradictoires, il appartenait au Canada de faire trancher cette question et non pas au Rwanda qui en est à ses premiers balbutiements dans sa recherche de justice, a lancé Me Bertrand. Au Canada, on se posera toujours la question : "tout à coup que cet homme était innocent des crimes dont on l'accuse?"»

Guy Bertrand ne remet cependant pas en question le système de justice canadien, mais pointe plutôt du doigt l'appareil politique.

«Ce n'est pas le système judiciaire qui fait défaut ici, c'est le système politique. Est-ce qu'on peut nous assurer qu'il n'y a pas eu des pressions indues qui ont été faites sur le système politique pour s'assurer que Léon Mugesera soit chassé du Canada? On ne le sait pas, parce que c'est une décision qui ne s'explique pas!» a affirmé l'avocat, qui n'a cependant pas voulu préciser s'il avait des informations particulières confirmant sa théorie.

Il ne croit pas non plus que la décision a une couleur partisane puisqu'il note qu'avant l'arrivée au pouvoir des conservateurs de Stephen Harper, les libéraux, par l'entremise du ministre de la Justice de l'époque, Irwin Cotler, s'étaient montrés tout aussi déterminés à déporter son client.

Au bout du fil en direct de Kigali, le procureur général du pays, Martin Ngoga, réplique à Guy Bertrand en lançant une boutade. «J'aurais bien aimé avoir la capacité d'exercer des pressions! Si nous l'avions eue, nous l'aurions utilisée il y a longtemps», a lancé celui qui a critiqué à plusieurs reprises la lenteur d'Ottawa dans le dossier.

Par ailleurs, Martin Ngoga estime qu'il en retourne aux Canadiens de décider s'ils croient que leur gouvernement aurait dû se plier aux demandes rwandaises plutôt que «d'agir en fonction de ses propres convictions».

Léon Mugesera se défendra probablement seul

À 74 ans, Guy Bertrand affirme qu'il n'a ni l'énergie ni les moyens financiers d'aller au Rwanda pour défendre Léon Mugesera. C'est pourquoi, lorsqu'il a été informé de l'ordre de déportation en décembre, il a avisé son client qu'il ne le suivrait pas dans son pays d'origine.

«À mon âge, est-ce que je serais capable de supporter cela?» questionne Me Bertrand, ajoutant qu'il y a de bonnes chances que lui aussi soit accusé s'il foule le territoire dirigé par Paul Kagamé. L'avocat a aussi fortement suggéré à Léon Mugesera de se défendre seul.

«Il n'y a pas un avocat qui arriverait à sa cheville pour assurer sa propre défense», a souligné Me Bertrand, ajoutant qu'il était également très difficile, dans les circonstances, de faire confiance à un ressortissant du pays africain.

Mais Me Bertrand demeure néanmoins l'«avocat-conseil» du Rwandais, qui pourra faire appel à lui en cas de besoin.

source: http://www.cyberpresse.ca