A. Contexte de la mission de la Commission internationale d'enquête et méthode Utilisée. Les violations des droits de l'homme qui auraient été commises par le Front Patriotique Rwandais ont été décrites pour la première fois par le rapport de l'organisation Africa Watch, publié au mois de février 1992 sous le titre: «Rwanda, talking peace and waging war, human rights since the october 1990 invasion».

Le rapport citait le témoignage du clergé local, selon lequel des centaines de civils avaient été tués par le FPR, dans plusieurs communes frontalières ou non frontalières. Selon ce rapport, le FPR avait également attaqué plusieurs cibles qui étaient clairement des cibles civiles, et notamment, en décembre 1991, un camp hébergeant six mille personnes déplacées à Rwebere. Le FPR aurait également attaqué le petit hôpital de Nyarurema pour la troisième fois depuis le début de la guerre, également au mois de décembre 1991, tuant six infirmières et patients et endommageant sérieusement la pharmacie.

Il était également reproché au FPR d'avoir kidnappé des dizaines de civils, et d'avoir forcé beaucoup d'entre eux à transporter des denrées pillées ou de servir le FPR d'autres manières. Le FPR n'est pas resté sans réaction aux conclusions du rapport de Africa Watch. Dans des lettres adressées à Africa Watch aux mois de février et mars 1992, il critiquait que l'on ait accordé trop de crédit aux témoignages du clergé. Il accusait certains membres du clergé de n'être pas sans connivence avec le gouvernement.

Il expliquait en outre que certains civils avaient pu être tués du fait de tirs ou d'opérations militaires conduits par le FPR, en raison de circonstances dues aux forces gouvernementales, par exemple : l'utilisation par les forces gouvernementales de civils pour porter des fournitures aux troupes, de sorte que certains civils qui se déplaçaient avec des troupes rwandaises pouvaient avoir été victimes de tirs effectués par le FPR; de même, les forces gouvernementales s'établissaient souvent, à dessein, près de concentrations civiles, pour dissuader les forces du FPR de tenter des opérations contre elles, précisément compte tenu du souci du FPR d'épargner les populations civiles.

C'est la raison pour laquelle, expliquait le FPR dans sa lettre à Africa Watch, il a toujours conseillé aux populations de quitter les zones de combats de manière à créer une zone de libre tir. Les troupes gouvernementales auraient eu la politique inverse. En outre, expliquait-il, si dans les premiers mois de 1991, le FPR préférait garder la population avec lui, il s'est rendu compte que cela le rendait vulnérable et d'autant plus que les civils étaient accusés de collaboration avec le FPR, de sorte qu'ils couraient de grands dangers en cas de reprise du terrain par les troupes gouvernementales.

Pour terminer, le FPR invitait Africa Watch à diversifier ses sources notamment en s'informant auprès du FPR lui-même.67 Il faut encore noter un échange de correspondance entre le «Comité pour le respect des droits de l'homme et la démocratie au Rwanda" et le FPR aux mois d'avril et ai 1992. Dans sa lettre du mois de mai 1992, le FPR répondait à une série de questions posées par le CRDDR quant à la présence de jeunes âgés de moins de seize ans au sein de l'armée du FPR, le comportement de celui-ci à l'égard des populations civiles se trouvant à l'intérieur et aux abords des zones de combat et notamment le bombardement répété de camps de personnes déplacées, l'exécution alléguée de plusieurs dizaines de prisonniers de guerre, notamment de soldats zaïrois, fin octobre ou début novembre 1990; les recrutements forcés, la sensibilisation de ses membres à la problématique des droits de l'homme; le sort des membres du FPR faits prisonniers par les forces armées rwandaises; la place des femmes dans l'armée du Front Patriotique; les raisons du choix du FPR en faveur de la lutte armée.

Tels étaient les préalables dont la Commission internationale d'enquête avait connaissance en abordant le Rwanda pour effectuer sa mission. Sa méthode de travail pour ce qui concerne la vérification des allégations de violation des droits de l'homme commises par le FPR fut la suivante :

- La Commission s'est rendue dans la zone occupée par le FPR le dimanche 17 janvier 1993.

- Dans les jours qui ont précédé, de même que dans les jours qui ont suivi, elle a entendu, à Kigali et ailleurs, des témoignages relatifs aux allégations de violation des droits de l'homme concernant le FPR.

- La Commission a évidemment été attentive à faire la part entre les victimes directes des combats et les victimes indirectes; parmi les victimes directes, il y a lieu de distinguer celles qui sont la conséquence malheureuse de tout combat généralement quelconque, et celles dont les auteurs auraient pu éviter la mort s'ils avaient soigneusement discriminé leurs cibles, comme l'exige le droit humanitaire.

- La Commission est consciente qu'il est parfois difficile de vérifier qui a commis les exactions. Les populations civiles peuvent parfois être dupes des circonstances et se tromper; elles peuvent aussi avoir été abusées par des ruses voire même des actes de perfidie tentant de les abuser en leur faisant croire que c'est l'autre partie qui les a agressées.

Ainsi, il n'est pas exclu que certains bombardements de camps de déplacés aient été l'oeuvre de l'armée rwandaise; de même, des témoignages crédibles ont rapporté que des éléments de l'armée rwandaise s'étaient manifestement déguisés en militaires du FPR pour commettre des exactions, ou que certaines agressions commises par le FPR s'étaient déroulées dans des circonstances curieuses, comme le fait que, pour les commettre, ils avaient dû franchir, en venant et en retournant, les lignes rwandaises, au su de celles-ci et sans la moindre réaction.

Un des moyens utilisés par la Commission internationale d'enquête pour tenter de faire la part des choses fut de poser aux témoins oculaires directs qu'elle a rencontrés68 la question de savoir quelle était la langue utilisée par les agresseurs. Les réponses furent édifiantes, les témoins étant en général capables de citer les langues utilisées.

Cette manière de procéder a été suggérée à la Commission par la visite qu'elle a effectuée au sein de la zone contrôlée par le FPR, où elle a pu constater que ceux-ci utilisaient entre eux d'autres langues que le Kinyarwanda, comme le Swahili, le Kiganda, l'Anglais. Il faut noter à ce propos que de nombreux militaires du FPR sont issus de l'armée Ugandaise, où le Kiganda est la langue de commandement.

- De nombreux témoignages ont été recueillis dans les camps de déplacés, où se trouvent des gens qui ont eu à souffrir tant des agressions dirigées contre les 'camps eux mêmes, que d'agressions subies avant qu'ils ne quittent leur région d'origine, voire qui ont causé leur fuite. - Il se peut que, à Poccasion d'attaques militaires du FPR, certaines bandes de pillards, venues éventuellement d' Uganda, aient profité de la situation pour mener des raids de pillage, comme cela se produit d'ailleurs généralement dans ce genre de circonstance, et que ces pillards se soient rendus coupables de graves exactions contre les populations. Ces pillards peuvent même s'être travestis en pseudo-militaires du FPR, pour donner le change. Il s'agirait alors de bandes irrégulières du FPR. Il faut toutefois savoir aussi que le FPR est constitué d'unités bien disciplinées et entraînées, mais également de troupes plus récentes et moins bien contrôlées.

Toujours est-il que le FPR doit être considéré et se considère d'ailleurs, au sens du Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits non-internationaux, comme »des forces armées organisées qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie du territoire d'une partie contractante un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole ". Tout comme l'armée rwandaise, il semble à la Commission que le FPR doive assumer les actes qui ont été commis sous le couvert de ses propres opérations, que ces actes aient été commis consciemment par ses propres forces, ou parce qu'il n'a pas pris les précautions pour que de tels actes ne soient pas commis par d'autres, soit encore qu'il n'ait pas sanctionné les actes répréhensibles ultérieurement pour dissuader leur reproduction.

Admettre le contraire serait empêcher la manifestation de la vérité et permettre l'élision de toute responsabilité. Ceci est d'autant plus vrai d'une armée qui, en tout cas au début de la guerre, avait la prétention de remplacer le régime en place et qui vient de justifier la reprise des combats en février 1993 entre autres par la nécessité de forcer l' Etat rwandais à cesser ses propres massacres des populations civiles.

B. La visite de la Commission internationale d'enquête dans la zone occupée par le FPR La Commission a donc effectué une visite de la zone occupée par le FPR le dimanche 17 janvier 1993. Elle a été escortée par des membres du "groupe d'observateurs militaires neutres' (GOMN), établi par les premiers accords d' Arusha pour vérifier le respect du cessez-le-feu entre les deux armées. Elle a ainsi passé les lignes de séparation sans encombre, pour entrer dans une zone dont elle a pu constater69 qu'elle était complètement vidée de ses habitants. Après avoir quitté la route de Gatuna, le convoi a suivi plusieurs kilomètres de piste, après quoi les membres de la Commission, accompagnés des militaires du FPR, ont marché deux kilomètres pour rejoindre un fond de vallée où un groupe de 2250 personnes a été rassemblé en une grosse communauté villageoise. D'après ce qui nous a été dit, un autre groupe, de 750 personnes, a été rassemblé à Butaro.

Il est apparu à la Commission que la population semblait bien traitée et que son état de nutrition était satisfaisant. En revanche, la Commission n'est pas convaincue que le FPR ait mis tout en oeuvre pour faciliter la rencontre de nombreuses personnes de même que la liberté d'expression de celles-ci. En effet, alors que le rendez-vous était fixé à 7h30 du matin à Kigali avec les représentants du FPR au sein du GOMN pour nous rendre avec eux jusque dans la zone occupée, ceux-ci sont arrivés avec plus de trois heures de retard, de sorte que le départ n'a pu avoir lieu qu'à 1 I hOO du matin. Arrivés à l4 hOO auprès des habitants, nous avons dû quitter à 16 hOO car, nous a -t-on dit, après notre arrivée sur place, il fallait repasser la ligne de séparation entre les deux armées pour 17 hOO au plus tard compte tenu des exigences de l'armée rwandaise. Il s'est avéré par après que cette affirmation était fantaisiste. La Commission a donc disposé de moins de deux heures sur place pour interroger des témoins. Si elle a été libre de choisir ces témoins, la Commission a éprouvé beaucoup de difficultés à interroger ceux -ci hors de la présence de militaires ou de représentants du FPR. En outre, plusieurs témoins ont été filmés par une caméra du FPR pendant qu'ils répondaient aux questions des enquêteurs. Certains membres de la Commission ont dû exiger à plusieurs reprises d'être laissés seuls avec les témoins.

Les témoignages eux-mêmes n'ont pas permis de déceler l'existence passée ou présente de mauvais traitements. Tous les témoins s'estimaient satisfaits de leur situation, tout en exprimant le souhait de retourner un jour chez eux. Sur la question de savoir pourquoi ces personnes avaient été rassemblées en un seul endroit plutôt que d'être autorisée à rester dans leur village, les représentants du FPR nous ont répondu qu'il s'agissait d'une question de sécurité. L'autorisation sans restriction de circuler au sein de la zone occupée pourrait avoir pour conséquence de faciliter les infiltrations de l'ennemi. En outre, toute atteinte à l'intégrité physique des habitants ne manquerait pas d'être portée au compte du FPR, ce qu'il y avait absolument lieu d'éviter. Or, la seule manière pour le F PR d'assurer la sécurité de cette population était de concentrer celle-ci en un seul endroit où elle puisse être protégée.

La Commission a pu constater qu'en dehors de la zone de rassemblement les habitants étaient interdits de circulation. Elle a toutefois constaté que des restrictions étaient imposées à la circulation au sein même de la zone. Celle -ci étant divisée en secteurs, avec un responsable pour chaque secteur, chaque habitant est tenu de demander l'autorisation de circuler dans un autre secteur et, dans ce cas, doit laisser ses pièces d'identité, à son responsable de secteur, jusqu'à son retour. A noter70 également que chacun doit obligatoirement travailler pour la collectivité quatre jours sur sept et ne peut Yaire la bière" que le jeudi et le dimanche.

Avant de quitter la zone occupée, la Commission a pu rencontrer quelques prisonniers de guerre qui avaient, nous a-t-on dit, volontairement rejoint les rangs du M. Cette rencontre n'a toutefois à nouveau pas pu se faire isolément, de sorte qu'il n'y a pas eu grand-chose à retirer des témoignages.

C. Analyse des violations des droits de l'homme commises par le F PR

a.Les exécutions extra-judiciaires et autres atteintes à l'intégrité Physique et aux biens Les témoins que la Commission a rencontrés dans les camps de déplacés n'ont pas paru assimiler la Commission à des agents du Gouvernement ou favorables à celui-ci. Nous avons recueilli, parfois des mêmes personnes, des témoignages d'exactions commises par le FPR et des témoignages d'exactions commises par l'armée rwandaise. Des personnes que nous avons rencontrées semblaient souvent être capables de faire la distinction entre les deux, distinction qui se justifiait par les moments où les exactions avaient été commises, ce qui se comprend compte tenu de l'évolution de la situation sur le terrain.

La Commission a rencontré des personnes déplacées dans les camps situés entre Nyagatare et Ngarama, puis lors d'une deuxième visite, les camps situés entre Byumba et Ngarama, notamment les camps de Rwebare, Bwisige et Ngarama même. C'est donc toute la chaîne des camps du nord-est du pays qui a été visitée. La Commission a pu rencontrer de nombreux témoins des événements qui se sont déroulés dans les zones frontalières depuis le déclenchement de la guerre au mois d'octobre 1990. Elle a utilisé ses propres interprètes, au cours d'entretiens qui se sont déroulés dans de bonnes conditions eu égard à la liberté d'expression. Du côté de Nyagatare, c'est la région des ranches. Il s'agit d'une région moins peuplée que le reste du pays, où ont été créées de grandes exploitations d'élevage. C'est la région des éleveurs Bahima. Ce sont eux qui ont été les victimes de l'opération de nettoyage de l'armée rwandaise du 8 octobre 1990 (voy. supra). Cette région est à peu près vidée de tous ses anciens habitants, don’t les rescapés se trouvent dans les camps de déplacés plus au sud.

En revanche, cette région est occupée à présent par des personnes qui ont fui les régions frontalières dans les premières semaines de la guerre, et qui sont venus occuper les habitations délaissées. Les témoins font état de plusieurs phases dans le comportement des troupes du FPR (qu'ils ne qualifient pas comme telles, préférant utiliser les termes Inkotanyi ou lnyenzi).

Le mois d'octobre 1990 leur a permis de côtoyer une armée disciplinée et vivant en bons termes avec la population, au point que celle-ci partageait parfois ses repas avec les militaires. C'était le mois de la progression du FPR. A partir du mois de novembre, le FPR a dû refluer vers l' Uganda, compte tenu de la contre offensive de l'armée rwandaise. La discipline s'est alors considérablement relâchée. Les exactions ont commencé avec les revers militaires. Les gens de ces zones furent ainsi deux fois71 victimes du soupçon qui pesait sur eux de collaboration avec l'ennemi. La Commission a parlé du massacre organisé des éleveurs Bahima par l'armée rwandaise au mois d'octobre, ces malheureuses victimes étant soupçonnées, de par leur appartenance à l'ethnie Tutsi, de collaboration avec l'envahisseur. Ultérieurement, la radio rwandaise a exhorté ces personnes à désigner les Inkotanyi aux soldats rwandais. Certains témoins nous ont dit avoir donné suite à cette exhortation.

Cette circonstance les a rendus cette fois complices aux yeux de l'armée du FPR, qui s'est mise à les terroriser. Plusieurs cas d'exécutions sommaires ont été rapportés à la Commission. Témoignages de plusieurs personnes à Bushoga, originaires de la commune de Muvumba :

- 'Des Inkotanyi ont attaqués plusieurs fois à Rutare. Nous avons fui et nous sommes venus nousinstaller ici. Presque tous ceux qui habitent ici sont partis lors des premières semaines de la guerre. LaCroix-Rouge nous a donné des vêtements et de la nourriture. Puis les Inkotanyi sont venus une fois encore prendre même les casseroles et nôtre huile. Ils ont pris toutes les vaches qu'ils ont trouvées, les nôtres et celles des autres familles. Ils ont pris d'autres choses et même des personnes. Ils en ont tué quelques unes. Us ont pris des personnes dans les maisons et les ont amenées comme ça. L'une d'entre elles s'est échappée".

- "les Inkotanyi sont venus et ils ont pris des vaches et les ont amenées à Murahashi. Ils ont emmené des personnes pour les aider à conduire les vaches.Ils ont pris notamment Nyakayiro et Karego, des hommes à peu près du même âge. L'un était père de trois enfants, l'autre de quatre enfants- C'était tout près d'ici, à Mihingo. Quand ? Il y a longtemps, probablement mars de l'année dernière. A ce moment, j'étais déjà réfugié à Bushoga".

- "Il y avait aussi des attaques des militaires rwandais, qui sont aussi venus pour nous piller. En effet, on a remarqué que nous sommes faibles et tout le monde nous a attaqué. Il y a un manque total de sécurité. Nous sommes totalement démunis. Quand les Inkotanyi sont venus, et qu'ils n'on tpas trouvé de vaches (attaques du mois de mars dernier), ils ont pris des personnes jeunes qui pourraient les guider au moment de leur prochaine attaque. Depuis leur départ, on n'a pas revu ces jeunes hommes.

- «Des Inkotanyi ont attaqué chez nous pendant la saison des pluies, l'année dernière, au mois de décembre. Placide les a vu arriver et il s'est enfui. Le Père est resté à la maison car il était malade. Ils ont pris le père Kagamba et dit à la mère de rester à la maison. Ils l'ont pris avec deux autres hommes et les ont tués, comme ça, simplement pour tuer. Kagamba a été tué avec une baï onnette après que les Inkotanyï aient dit aux femmes et enfants de rentrer chez eux".72

-«Le 23 et 24 décembre, les Inkotanyi sont venus dans notre enclos à 6h00 du matin. Il y en avait plus de quarante, tous en uniforme, avec des bottes noires ou blanches, armés de Kalachnikofs. Ils étaient tous des soldats. Pas de civils avec eux. Ils m'ont demandés pourquoi tout le monde était en train de fuir. Parce que vous êtes des étrangers, avons nous répondu. Lejour suivant ils ont tué le fils de Karenzi, âgé de dix- huit ans, avec un fusil. Après les Inkotany sontparti. Karenzi est rentré chez lui avec sa famille. Le jour d'après, il s'est enfui définitivement".

Le témoin précédent est un témoin qui a fui la commune de Kiyombe. Nous l'avons rencontré dans le camp de déplacés de Ngarama, de même qu'un autre témoin qui nous a dit ceci 'Nous habitions près de la frontière. Pour nous la guerre a commencé au mois de décembre. Les Inkotanyi nous ont chassé de Mabare. Nos maisons ont été pillées et détruites par eux. Mon père était malade de la malaria et est resté surplace parce que trop malade pour se déplacer. Il a été tué à la baronnette.

D'autres ont été tués à ce moment. Il s'agit de : Kayingana, Mubiriji, Karumba, Rugema, Zï ramulinda, Sebyasi, Bamkala, Bagira, Zangosa, Gahinyusa'. Dans un camp de déplacés près de Rukomo, nous avons reçu le témoignage suivant sur un fait qui s'est passé à Shonga, proche de la frontière. Il s'agit du témoignage d'un enfant "Mon père est mort en essayant de fuir, comme tant d'autres. J'ai vu les Inkotanyi attaquant. Ils avaient des fusils et d'autres armes et ils ont pillé nos chèvres. Beaucoup de personnes dans ma famille ont été tués. Des Inkotanyi ont tué mes deux parents et d'autres personnes et je suis resté seule ".

D'autres témoignages recueillis notamment dans le camp de Ngararna, nous ont fait état de plusieurs cas où des militaires du FPR ont enfermé les familles dans leur maison, tout en retenant les hommes à l'extérieur pour les exécuter. Ces exécutions avaient lieu à la lance ("il fut lardé par des coups de lance", nous a raconté l'un d'eux à propos de son frère), ou à coups de machette, de houe, de baï onnette : ainsi, par exemple Kayihura, vingt-sept ans, frère de Kabyasiza, vint-sept ans également fut fusillé d'une balle dans la tête au mois d'octobre 1991; Ndimurwango Faustin, a été fusillé d'une balle dans la poitrine au mois d'août 1991 dans le secteur de Kaniga.

Il avait dix-neuf ans. Il était le fils de Tiguhanwa (Ntiguranwa ?), cinquante-trois ans. Au centre de santé de Nyarurema, le 15 février 199 1, des militaires du FPR ont attaqué des militaires rwandais hospitalisés. Ils ont agressé le centre de santé à deux autres reprises, le 5 septembre et le 7 décembre 1991. Ils ont détruit la pharmacie, sans faire de morts, le 5 septembre. En revanche, le 7 décembre, ils seraient entrés dans une salle où il y avait cinq enfants malades de la rougeole. Ils les auraient tués à bout portant. Es ont tiré à travers les fenêtres d'autres salles, faisant sept morts, dont cinq enfants.

La Commission a encore recueilli - plusieurs autres témoignages. Elle a bien entendu également recueilli les témoignages des pères73 blancs, qui ont confirmé un certain nombre d'exactions commises par les militaires du FPR telles quelles nous avaient été décrites par les témoins oculaires directs rencontrés dans les camps de déplacés.

b. Les déportations Tous les témoignages convergent pour dire que le FPR a déporté un certain nombre de populations en Uganda. Le comportement du FPR s'est avéré assez multiforme. Dans certains cas, des hommes ont été réquisitionnés pour transporter des armes ou du butin produit par les pillages. Lorsque les marchandises arrivaient à destination, les gens réquisitionnés étaient en général relâchés et pouvaient rejoindre leurs proches. Des populations ont été déportées au sens strict, des zones frontalières vers l'intérieur de Mganda. La Commission n'a bien entendu pas pu se rendre en Uganda, compte tenu de la préparation qu'aurait nécessité une telle expédition.

Des témoins que nous avons rencontrés n'ont pas pu nous donner de nouvelles des personnes déportées. De nombreuses familles ont ainsi été séparée. Le FPR prétend que les déplacements de population vers le nord avaient pour objectif d'assurer leur sécurité. L'on peut également imaginer qu'il y avait un objectif stratégique à cette pratique, qui consistait à vider les zones de combat de leurs populations pour créer des zones de tir libres. Cette stratégie est d'ailleurs reconnue par le FPR lui-même dans les lettres qu'il a adressées notamment à l'organisation Africa Watch. La Commission n'a pas pu se renseigner, pour les raisons énoncées ci-dessus, sur la manière don’t les civils sont traités dans les camps de réfugiés en Uganda.

c. Conclusions Le FPR s'est rendu coupable de violations des droits de l'homme. Il en porte la responsabilité. Les auteurs de ces violations n'ont, semble-t-il, pas été sanctionnés. La reproduction des exactions est là pour en témoigner. Parmi les personnes déportées en Uganda, les témoignages recueillis démontrent que beaucoup auraient sans doute choisi de rester au pays, même comme personnes déplacées.

Kami (DHR)